Quatre saisons en trois mois

Evocation d’un ango

C’était il y a un an et demi, en mars. Dehors, il pleuvait des cordes.

Soudain, j’ai été appelée par l’abbé. Ensemble assis à table il me demanda de faire l’ango de premier moine, suivi par la cérémonie de Hossen. Je l’ai regardé d’un air surpris et lui ai répondu : « Merci pour votre confiance mais je m’en sens incapable. » « Très bonne réponse, vous êtes tout à fait prête » me dit-il. Ses paroles ont effacé tout argument.

Quelques mois plus tard, j’étais dans le dojo, habillée avec grand soin, prête pour la cérémonie d’ouverture de l’ango. Les premiers mots qui ont résonné dans le dojo furent les mêmes que la réponse qui m’a surpris il y a tant de mois.« Même si je suis proposée pour cette responsabilité, j’ai le regret de dire que je ne me sens pas capable de le faire. » J’étais là, au départ d’un voyage inconnu, réconfortée par des paroles anciennes, des gestes anciens et tant de beauté autour de moi.

Que représente finalement l’ango de premier moine ? Peu à peu, la responsabilité s’est infiltrée dans mon corps, dans le flux incessant d’actions, seconde après seconde, heure après heure, jour après jour.

Faire l’acte uniquement pour l’acte et ressentir le silence de la vie. C’est de cela qu’il s’agit. Pratiquer la disponibilité pour les autres ou, en d’autres termes, pratiquer la qualité de votre présence avec l’humilité nécessaire.  Fermer les portes, éteindre les lumières, ranger les zafu à leur place… Poser de petits gestes qui passent inaperçus : personne ne les voit, personne ne clique dessus.

La colline de Ryumon-ji est à jamais gravée dans mes jambes. La première à se lever, la dernière à se coucher. Seule dans l’obscurité sous le ciel clair et étoilé avec la cloche de réveil ou les claquettes dans les mains. J’ai vécu les quatre saisons pendant les trois mois de mon voyage, de haut en bas et de bas en haut sur la colline de Ryumon-ji plusieurs fois par jour. Les fleurs d’été qui ont survécu à l’hiver, la pleine lune, les feuilles dorées, la tempête, la pluie. Et la surprise un petit matin de découvrir le jardin recouvert d’un splendide tapis blanc, un privilège pour le shusso de tracer les premières empreintes.

Se lever la première a fait naître en moi un profond sentiment de gratitude d’avoir reçu la confiance de l’abbé. La gratitude de pouvoir se consacrer à la pratique dans un lieu superbe en toute quiétude. La gratitude envers tous ceux qui ont rendu tout ceci possible. La gratitude de pouvoir vivre ce voyage avec des personnes venues de partout, de tous âges, de vécus différents, tous ensemble sur une seule et même route.

Parfois je m’interrogeais : pourquoi ne suis-je pas plutôt restée à la maison ? Ces trois mois aident à  élever la pratique à un autre niveau en faisant un pas de plus. Seul on ne peut pas y arriver, on a besoin de la  sangha qui nous aide.

Je ne pourrais pas mieux le décrire que par ces mots d’un kusen du Maître zen Wang-Genh pendant l’ango :

« Zazen, c’est aller là où on ne peut pas aller,
sans doute
sans crainte
avec le cœur ouvert »

Traduction Nadine Lupant

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